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Victor Hugo Melancholia

Le titre de Mélancholia reprend celui d'une oeuvre de 1514 du graveur allemand Albercht Dürer représentant un ange triste et pensif.

Contexte historique de ce poème :
- La Révolution industrielle accroit les usines, les mines
- La loi de 1841 interdit le travail des enfants de moins de huit ans. Elle est relativement mal appliquée.
- En 1874, le travail des enfants de moins de 12 ans est proscrit (leur place est à l'école, qui devient gratuite, laïque et obligatoire en 1880-1881).
- Le repos hebdomadaire ne sera accordé qu'en 1906 et la limitation du temps de travail (à 48h/semaine) en 1919.

Présentation de l'auteur et du mouvement littéraire :

Victor Hugo est un des plus grands poètes et écrivains français. Né en 1802 dans une famille de grande noblesse, il se dirige très rapidement vers le domaine littéraire. En 1848, Victor Hugo devient républicain et s'oppose à Napoléon III dans le but de défendre les droits du peuple. Sensible à la misère dans laquelle une grande partie de la population française vit, il se fait le défenseur des pauvres et dénonce les injustices à travers son oeuvre littéraire. En 1852 commence un exil de vingt ans qu'il met à profit en écrivant les Contemplations notamment.

Entraînez-vous :
- Présentez son travail : Son oeuvre est très diverse. En effet, .......................................
- Présentez son mouvement littéraire : Tout d'abord reconnu en tant que poète, il devient le chef de file d'un nouveau mouvement littéraire à partir de 1830 : le R...........

Situation dans le recueil :
- Première partie : Autrefois
- Troisième livre : Les luttes et les rêves.
- Ce texte n'est qu'un court extrait d'un poème de 11 pages.

Lecture :

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : - Petits comme nous sommes,
Notre père, voyez ce que nous font les hommes !
Ô servitude infâme imposée à l'enfant !
Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, oeuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les coeurs la pensée,
Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain ! -
D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !

Problématique : Comment Victor Hugo invite-t-il à l'émancipation par la création ? 

1er mouvement : vers 1 à 12 : Description du travail des enfants pour traduire une révolte
2nd mouvement vers 13 à la fin/25 : Appel à la compassion du lecteur : la création comme moteur d’action politique

I / Description du travail des enfants pour traduire une révolte

Succession de trois questions rhétoriques, qui se renforcent l'une l'autre : interpellation forte du lecteur, appel à le réflexion personnelle. Dans la seconde, les enfants deviennent objet de la fièvre : "que la fièvre maigrit". Victor Hugo insiste sur un paradoxe : des filles de 8 ans qui cheminent seules, ce n'est pas normal. Il est également anormal que des enfants ne rient pas, ce que souligne l'antithèse entre "tous ces enfants" et "pas un seul" (v1). Le v2 n'est pas une phrase au sens habituel : elle reprend et poursuit le v1 dans une gradation (ne pas rire puis être malade). "Ces doux êtres pensifs" = périphrase. "Ces filles de 8 ans" fait probablement allusion à la loi de 1841 et montre que cet âge est encore trop jeune. VV. 1 et 3 : répétition du mot "seul"/"seules"; Victor Hugo insiste sur le fait que ces enfants soient sans adulte et donc vulnérables (sans protection), ce qui le révolte et est susceptible de révolter aussi le lecteur. Parallélisme entre les vers 2 et 3 (construction identique).
V. 4 : C'est comme une réponse aux questions : au travail. "sous" : renvoie à la soumission des enfants dominés par le travail. Durée de ces tâches : "15 h". Répétition de "vont" (v 1,4,5) : les enfants sont toujours en mouvement. Meules : broient, font du bruit, symboliquement, broient les enfants.
V. 5 : "aube" et "soir" = antithèse, durée de travail très longue. "éternellement" : adverbe très long (5 syllabes) qui renforce la durée. 
V. 6 : Allitération en "m" = enfermement, prison. L'usine est une prison par métaphore et hyperbole. "même" se répète = monotonie travail à l'usine. Contre-rejet. Cette présentation du travail fait penser au mythe de Sisyphe qui est condamné à un châtiment : rouler une pierre gigantesque en haut d'une montagne alors qu'elle retombe toujours / ou au tonneau des Danaïdes. L’auteur réutilise un mythe ancien mais cela le réactualise : c’est une forme d’émancipation créatrice.
V. 7 : Personnification (+ métaphore + périphrase) de la machine : "dents" du "monstre" qui "mâche" (dents des engrenages). Le monstre appartient au champ lexical des cauchemars des enfants. 
VV. 7/8 : Parallélisme "dents" et "sombre" / "mâche" et "ombre". Cette obscurité renvoie au mal, à l'illicite : V.H. semble affirmer que le travail des enfants se fait presque en cachette et devrait être interdit complètement. 
Cette figure du monstre qui dévore les enfants fait penser à la mythologie : le Minotaure ou Cronos qui dévore ses enfants. Autre lecture possible, chrétienne cette fois : le diable qui dévore les âmes en enfer. 
V. 9 : "innocents"/"bagne"/"ange"/"enfer" = parallélisme et antithèse qui forment une gradation. La césure, soulignée par la virgule, est à l'hémistiche.
V. 10 : Rejet : "ils travaillent" : ils n'en bougent plus = un rejet, qui insiste sur cette action. "Tout est d'airain, tout est de fer" = vocabulaire de l'usine, de la métallurgie. Fer renvoie aussi à l'emprisonnement des enfants dans le travail : comme un jeu de paronymie sur "mettre aux fers".  
V. 11 : Durée du travail insupportable. Les enfants doivent normalement s'arrêter et jouer, travailler ainsi est contre nature : cette idée est donc paradoxale. Parallélisme autour du "et" situé à l'hémistiche : "jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue". La répétition de l'adverbe "jamais" cherche à choquer le lecteur.  Le pronom "on" permet ici une généralisation.
  

V. 12 : Césure à l'hémistiche, avec le point d'exclamation. La cendre renvoie aux machines qui fonctionnent souvent au charbon (d'où l'expression "aller au charbon" pour "travailler") et est une référence à la religion chrétienne, au mercredi des cendres où l'on rappelle aux fidèles qu'ils sont mortels. Ajouté à "pâleur", ce terme montre que les enfants sont condamnés à mort prématurément. Allitération en "l" renvoie au dur labeur. "leur joue"; "on ne joue" : homonymes, homophones. Il s'agit d'une anaphore. 

Bilan/transition : V. H. décrit le travail difficile des enfants en montrant sa révolte face à leur exploitation. Cela permet d'attirer la pitié du lecteur et la création artistique.

II/ Appel à la compassion du lecteur : la création comme moteur d’action politique

V. 13 : "à peine jour", "déjà" : CC temps qui montrent que les enfants travaillent même la nuit. (Fuite du temps thème cher aux Romantiques : leur vie leur échappe). Assonance en "A" qui fait référence à la souffrance et la tristesse des enfants au travail. Normalement, au lever du jour les enfants ne sont pas fatigués (paradoxe). Fatigue soulignée par le "las" à la fin du vers. Le verbe "sont" au présent, c'est un verbe d'état, et cette conjugaison donne l'impression que leur fatigue n'a pas de fin. Registre pathétique. Césure avec la virgule à l'hémistiche.

V. 14 : "ne comprennent rien" fait penser à la naïveté infantile. De nouveau le registre tragique avec le destin qui s'acharne sur eux. Introduction à la deuxième partie du poème avec le "destin" qui fait référence à la chrétienté. "ils ne comprennent rien", phrase négative, leur innocence ne leur permet pas de prendre conscience de leur état comme des adultes le feraient. "hélas" est mis en valeur par sa position en fin de vers, par l'exclamative et par la virgule qui le précède : le terme frappe donc le lecteur. Registre lyrique. Rime "las"/"hélas" est une manière de montrer son chagrin à la vue de la fatigue des enfants.  

V. 15 : Une prière adressée à Dieu qui semble être le seul recours des enfants. Fait allusion aux croyances de V.H. "petits comme nous sommes", manière d'insister sur leur âge tendre et leur petite taille. "semblent" sous-entend qu'ils ne le disent pas, car la parole est interdite dans les usines, allitération en "m" qui appuie sur cette parole contenue. Il n'y a que Victor Hugo pour faire entendre la parole de ces petits. Le choix des paroles rapportées au style direct permet d'imaginer les enfants, de leur donner une réalité aux yeux du lecteur qui croit les entendre parler, c'est une prosopopée. La prière du Notre Père est sacrée pour les chrétiens. L’auteur, en utilisant le début mais en changeant la suite s’en émancipe et crée un message neuf, moderne et cette utilisation amplifie son message.

V 16 : "petits"/"hommes" antithèse. "Dieu"/"notre père" parallélisme, renvoie à la prière et à la fonction protectrice du père que les hommes n'assurent plus. "hommes" renvoie à la fois aux pères qui les envoient à l'usine et aux patrons qui les embauchent. Parallélisme entre "père" et "hommes". L'impératif "voyez" renforce l'apostrophe "notre père", c'est un appel au lecteur pour qu'il voie le caractère intolérable de cette situation. "les hommes" est un terme générique soulignant que cette question du travail des enfants est l'affaire de tous, et surtout des hommes puisqu'ils dirigent la société et exercent seuls l'autorité parentale (société patriarcale).  

V 17 : "o" = insiste, interpelle le lecteur, implore avec les enfants. "Servitude infâme" = périphrase pour le travail forcé, montre l'asservissement des enfants. "Imposée" = montre que les enfants sont soumis au travail. Phrase non verbale/ nominale. Phrase exclamative : le poète s'investit dans son discours, il fait preuve de virulence. "L'enfant" = le singulier a une valeur universalisante. C'est donc une dénonciation du travail de tous les enfants.  

V 18 : "souffle" s'oppose en quelque sorte à "étouffant" dans leur acception générale = oxymore. Allitération en "f" qui renvoie à la fois au souffle des enfants qui soupirent de ce travail harassant et au souffle des machines : la vapeur. C'est une personnification du travail qui semble respirer. "Rachitisme" : l'exploitation des enfants les rend malades, rachitiques. Ce mot tient lieu de phrase exclamative ; montrant que Victor Hugo est outré.  

V 19 : "Défait ce qu'a fait Dieu" = la Création, dont l'humain fait partie. En s'opposant à Dieu en faisant travailler les enfants, les hommes sont diaboliques. Le "qui tue" renforce le "défait" dans une sorte de périphrase. "Défait" et "fait" s'opposent dans une antithèse. Construction sonore en forme de chiasme : d, f / f, d. "Œuvre insensée" renvoie à l'homme car Dieu ne tue pas. Césure à l'hémistiche appuyée par le point virgule.

V 20 : Parallélisme entre "la beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée " (sorte de métonymie). La fin du vers renvoie à celle du vers précédent : non seulement les sons sont proches mais en outre "insensée" s'oppose à "pensée". Le travail détruit les corps et l'esprit des enfants (sans instruction). La beauté = nom féminin + sur les fronts = complément cironstanciel de lieu , dans les coeurs = C.C. de lieu + nom féminin = la pensée.

V 21 : "ferait" : conditionnel. Incise : sert à donner son avis, sous forme de phrase exclamative. Cherche à faire partager ses sentiments au lecteur : le sentiment de révulsion notamment.

V 22 : "Apollon" / "bossu" = antithèse ; "Voltaire" / "crétin" = antithèse. Parallélisme de construction.  L’intertextualité est forte ici, entre les mythes décrits dans Les métamorphoses d’Ovide et les Lumières symbolisés par Voltaire. Hugo s’appuie sur ces références culturelles connues pour les réemployer autrement. Il fait peut-être aussi un clin d'oeil à son oeuvre Notre-Dame de Paris, parue en 1831. Cela donne de la profondeur à son texte : il crée et s’émancipe en même temps.

V 23 : "âge tendre" = périphrase pour l'enfance. "serre" = métaphore comparant le travail à un rapace qui chasse. L'enfant est alors sa proie. C'est une animalisation du travail (prédateur) et de l'enfant (proie). L'adjectif qualificatif "mauvais" déprécie le travail. "Qui" introduit une proposition subordonnée reprise aux vers suivants sous forme d'anaphore.  

V 24 : Antithèse entre "richesse" et "misère". On peut voir une forme de chiasme finissant ici : Apollon étant un dieu, il crée A ; Voltaire étant un humain, produit (des ouvrages= richesse culturelle) B / "produit la richesse" B ; "créant" A. Produit est moins fort que créer : il y a donc une gradation = signifie que l'Homme crée davantage de misère que de richesse.  

V 25 : Comparaison enfant/outil : "ainsi que d'un outil" = réification. On retrouve les sonorités du mot "serre" avec "sert". (Allitération en "s" qui appuie probablement sur la comparaison.) La répétition du "qui" en anaphore donne une tournure accusatrice au texte. 

Bilan/conclusion de partie :

V. H. fait appel à la compassion du lecteur dans un long poème traduisant son message politique engagé contre le travail des enfants.

Assonance : répétition d'un son voyelle. 
Elégie : plainte, tristesse. 
Lyrisme : exaltation des sentiments avec une subjectivité marquée. 
Pathétique : émotion vive suscitée chez le lecteur par l'évocation de la souffrance. 
Prosopopée : figure de style qui consiste à faire parler une personne ou un objet qui n'a pas la parole.  
Réification : figure de style qui "chosifie" une personne ; inverse de la personnification. "Res" = chose en latin.  

Conclusion :

Finalement, « Melancholia » témoigne de l'engagement politique de Victor Hugo. Comme à son habitude, il mobilise toutes les ressources littéraires pour indigner le lecteur et le faire réagir face au travail des enfants qu'il présente en situation inacceptable. L'élégie et la polémique combattent l'industrialisation outrancière du XIXe siècle. Il vise, par la création poétique, l’émancipation des enfants. L'auteur sera entendu dans les décennies suivantes car l'assemblée adoptera plusieurs lois pour relever l'âge légal plancher permettant de travailler.

Ouverture 1 : Le soutien que le poète témoigne aux classes populaires se retrouve dans son poème « Le mendiant » ou encore dans son roman Les Misérables de manière plus développée. 

Ouverture 2 : Ces enfants épuisés par leur travail dépeints par Victor Hugo font penser aux « Effarés » d’Arthur Rimbaud. Les uns ont la cendre sur leur joue tandis que les autres sont « noirs » de saleté, tous adressent leurs prières de miséreux à Dieu comme au lecteur.