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Réflexions sur le thème

A toute vitesse !

Introduction : la conscience et la maîtrise du temps

La vitesse a toujours fasciné les Hommes en ce qu’elle questionne voire repousse les limites de son corps (sport), de ses inventions (ski, voitures, avions, technologies numériques, etc.), de son intellect (vivacité d’esprit) et parce qu’à l’origine elle avait quelque chose d’exceptionnel au sens de rare. Durant des siècles, la seule manière d’aller rapidement consistait à courir ou à monter à cheval (moyenne au galop : 21km/h). Longtemps, la conscience du temps demeurait floue, liée aux heures du jour et de la nuit. La Clepsydre, permettant de mesurer le temps grâce à l’eau, avait vu le jour en Egypte au XVe siècle avant notre ère. Le cadran solaire, inventé en Grèce au IVe siècle avant J.-C., domine jusqu’au XVe siècle où les horloges se diffusent dans les villes en Occident. Il faut attendre la fin du XVIIe siècle pour qu’apparaissent les premières horloges avec une aiguille des minutes. Elles ne s’introduisent dans la sphère domestique qu’au XIXe siècle. Le réveil fait son apparition après 1860. Peu à peu, on uniformise, on synchronise les montres et c’est l’apparition du temps réglé et universel : en 1884, on entérine le système de l’heure universelle calculée à partir du méridien de Greenwich. La France adopte une heure nationale en 1891. Le changement d’heure, institué en 1916, annulé en 1940, se voit rétabli en 1975 pour des raisons d’économies d’énergie (après le choc pétrolier).

 

La vitesse : une qualité ?

Elle véhicule une connotation positive et fait partie des qualités attribuées aux héros, aux génies, aux « Grands ». La langue demeure marquée par cette vision : ne dit-on pas de quelqu’un qu’on admire qu’il a de l’allure ? La célérité renvoie aux grands prédateurs et demeure un enjeu de domination, moins pour la survie de l’humanité que pour la supériorité à l’échelle des Etats et des individus. Il y a de la transgression dans la rapidité, une griserie interdite : on limite l’allure des voitures sur les routes. Celui qui commet un excès de vitesse brave l’interdit, s’élevant ainsi au-dessus de la société des Hommes et des règles qui la régissent. « La vitesse est le pouvoir même. […] Car le propre de la vitesse absolue, c’est aussi d’être le contrôle absolu, instantané, c’est-à-dire un pouvoir quasi divin » affirme Paul Virilio (dans Cybermonde, la politique du pire. Entretien avec Philippe Petit, Textuel, 1996, p. 16-17).

La mondialisation

Les progrès technologiques et scientifiques ont en effet entraîné des phénomènes d’accélération sans précédent dans tous les domaines. Depuis la révolution industrielle, la transformation des processus de mécanisation et de motorisation (Tintin voyage en train, en fusée) a modifié en profondeur la gestion des entreprises et des industries, désormais dominées par le travail à la chaîne et l’accélération des échanges mondiaux. « A quoi bon regarder derrière nous […] ? Le Temps et l’Espace sont morts hier. Nous vivons déjà dans l’absolu, puisque nous avons déjà créé l’éternelle vitesse omniprésente ». Filippo Tommaso Marinetti, « Manifeste du futurisme », Le Figaro, 20 février 1909. Le futurisme est un mouvement artistique essentiellement italien développé entre 1909 et 1924. Il exalte « la beauté de la vitesse » (Marinetti), la fugacité de l’instant, les machines, les lumières urbaines et la vitesse, notamment par la photographie et le cinéma naissants. La mondialisation promeut la Ligne à Grande Vitesse, oubliant l’effet tunnel créé pour les régions ou villes qui ne s’avèrent pas desservies. On parle alors de la relégation spatiale qui engendre l’appauvrissement économique. Le développement de la grande vitesse constitue donc bien plus qu’une simple prouesse technologique : en remodelant les paysages, en contractant le temps, en rétrécissant l’espace, c’est toute notre perception des territoires qui se modifie.

La célérité jusque dans les interactions sociales

Les informations elles-mêmes circulent désormais à grande vitesse avec le téléphone, internet, la radio, etc. Cette nouvelle vélocité n’est pas sans conséquences : chute de l’artisanat, pollution planétaire, volatilité des marchés, dégradation du vocabulaire, cyberharcèlement… L’humanité s’en trouve culturellement bouleversée. L’ « accélération sociale », théorisée par le philosophe allemand Hartmut Rosa, pose un certain nombre de problèmes. Dans les valeurs, dans les rapports socio-économiques, tout d’abord : « Time is money » (Benjamin Franklin). Dans le tissu social et ses interactions ensuite : fast-food, speed-dating, multitâche, désinformation, prêt-à-penser, stress, buron-out, sont les nouveaux mots/maux de nos sociétés occidentales éprises de célérité jusqu’à la frénésie.

L'éloge de la lenteur

Peut-être serait-il plus sage de préférer le « juste temps » (le temps juste) au « juste à temps » (in extremis) ? C’est l’un des messages des mouvements qui soutiennent un développement durable : il faut ralentir la cadence. Apparue dans les années 1980, la pensée « Slow » invite à se défaire de la tyrannie de la rapidité, de la course effrénée. La volonté de ce mouvement est de se réapproprier le temps, de contester la situation existante : le culte de la performance ayant érigé la marchandisation du temps humain en valeur suprême, reconquérir la maîtrise de son temps revient à recouvrir la liberté. Les revendications du mouvement « Slow » sont concrètes et, sous d’autres noms parfois, ont désormais le vent en poupe :

  • Valoriser les produits frais et locaux, les recettes à l’ancienne, les repas longs (« slow food »)
  • Réaménager la ville avec des parcs et jardins, des espaces de quiétude, des zones piétonnes, des limitations de vitesse (« slow city »)
  • Produire durablement grâce aux matériaux renouvelables et aux petites unités de production (« slow production »)
  • Ralentir le rythme de travail, faire la sieste, pratiquer le yoga, avoir des horaires souples (« slow management »)
  • Privilégier les voyages individuels, la marche, la rencontre avec des habitants (« slow tourism »)
  • Retrouver du temps pour l’amour (« slow love »).

« Il y a un lien secret entre la lenteur et la mémoire, entre la vitesse et l’oubli. Un homme marche dans la rue. Soudain, il veut se rappeler quelque chose, mais le souvenir lui échappe. A ce moment, machinalement, il ralentit son pas. » Milan Kundera, La Lenteur, Gallimard, 1995.

(source : A toute vitesse ! Etonnants classiques BTS 2020-2021, Flammarion)

Pour aller plus loins, voici un ouvrage passionnant en libre accès dont vous pouvez lire les chapitres comme des articles (ils sont relativement courts et stimulants) : De l'histoire des transports à l'histoire des mobilités ?  Comme il s'agit d'un ouvrage collectif, vous verrez les styles variés d'auteurs très différents s'exprimant sur des thèmes multiples. Bonne lecture !