Marivaux Acte I, scène 14

Marivaux

Les fausses confidences

Acte I, scène 14

Problématique : Comment Marivaux utilise-t-il Dubois pour servir les intérêts de Dorante ?

I/ Une trahison apparente : la démission

II/ Une description inversée

I/ Une trahison apparente : la démission

Première réplique d’Araminte : Demande la cause de l’étonnement de Dubois, vu par le jeu d’acteur sur scène et montré dans le texte par une didascalie interne (« air étonné »). Le spectateur/lecteur a besoin d’un éclaircissement également car il sait que Dorante et Dubois sont complices. Le jeu de double énonciation du théâtre plonge ici le lecteur dans la même perplexité qu’Araminte.

Première réplique de Dubois : « ce n’est rien » = litote qui précède la périphrase de démission « ne saurais plus avoir l’honneur de servir madame ». Le valet manie très bien la langue, il est subtil.

Didascalie « surprise » : elle partage le sentiment du lecteur qui croit que Dubois trahit Dorante.

Question de Dubois qui crée le mystère. Sous-entend qu’il sait quelque chose à son sujet qu’Araminte ignore. Début d’une stichomythie = enchaînement rapide de répliques. Elle crée un rythme rapide. « Tour d’adresse » : sous-entend que Dorante a intrigué pour arriver jusqu’à cette maison ; qu’il est ambitieux. 2 questions à la suite : le valet interroge sa maîtresse : inversion des rôles sociaux. D’ordinaire, c’est le maître qui interroge le valet.

Réponse rapide, simple ; poursuite de la stichomythie.

« Lui ! Votre intendant ! » : étonnement feint de Dubois. Interjection « hélas » laisse présager quelque chose de grave (une catastrophe ?), surtout avec « il ne sait pas qui il vous donne » (probablement une référence à l’Evangile de la passion : « ils ne savent pas ce qu’ils font », Luc 23 : 34). Suit « c’est un démon que ce garçon-là » = hyperbole qui sert à inquiéter Araminte et à piquer sa curiosité. Cette réplique semble en contradiction avec la complicité de Dorante et Dubois au début de la pièce. Dubois jette ici le discrédit sur Dorante. Le lecteur croit à une trahison de Dubois qui semble vouloir effrayer Araminte.

Araminte l’interroge. « Mais » : conjonction de coordination d’opposition montre qu’elle cherche à défendre ou innocenter Dorante. « Explique-toi » utilise le mode impératif, rappelant son ascendant social sur le valet (mais visiblement elle ne maîtrise pas ce qui se passe dans sa maison).

Dubois commence par une répétition exclamative qui crée une intensité dramatique. Il introduit ensuite un chiasme : « je » s’oppose à « le » / « il » s’oppose à « me ». La question négative est faite ici pour forcer Araminte à acquiescer. Dubois s’appuie ici sur le poncif du bourgeois modeste qui vient troubler la grande maison aisée. C’est ainsi qu’il explique de Dorante se soit détourné de son regard lors de leur courte entrevue ; « visse » étant ici au subjonctif.

Araminte concède que Dorante s’est détourné et donc semble croire Dubois. « Tu me surprends à mon tour » : il y a de quoi être étonné(e). Elle souhaite savoir s’il est malhonnête : « capable de quelque mauvaise action ». Dubois a réussi à la faire douter.

 

II/ Une description inversée

Dubois réponde : « lui ! Il n’y a point de plus brave homme dans toute la terre » = hyperbole, description flatteuse passant par une tournure à la fois négative et superlative.

« Il a peut-être plus d’honneur à lui tout seul que cinquante honnêtes gens ensemble » = hyperbole qui renchérit. « probité merveilleuse » + « n’a pas son pareil » = hyperboles qui visent à brosser un portrait élogieux de Dorante.

Araminte : « alarmes » : le mot est fort = peur. Elle se demande où est le problème puisqu’il est le plus honnête et le plus brave. « En vérité, j’en suis toute émue » : elle demande la vérité à Dubois et lui confie ses états d’âmes alors qu’il est en train de la manipuler. Cette émotion révèle celle du spectateur qui est perdu à cet instant quant au lien entre Dubois et son ancien maître. Le lecteur se demande également si l’émotion d’Araminte ne vient pas de ce qu’elle éprouve déjà quelque chose pour Dorante : il semble lui plaire.

Dubois : « c’est là » + didascalie « se touche le front » = effet comique ; se rapproche de la comedia dell’arte.

Araminte : répétition + parallélisme avec la réplique de Dubois : « à la tête ? ». Montre son étonnement.

Dubois : « il est timbré, mais timbré comme cent » = hyperbole ; manière de dire qu’il est fou par une métaphore comique. Mais sa folie est amoureuse : « il extravague d’amour » = métaphore précieuse connue.

Araminte : Incrédule : ‘il m’a paru de très bon sens » : les apparences l’ont trompée. Mais elle doute encore et demande une preuve à son valet.

Dubois : « quelle preuve » = répétition + parallélisme. Dubois répète cette accusation de folie avec deux périphrases : « fou, cervelle brûlée (= métaphore), comme perdu (= comparaison) » . Cette  folie est deux fois la cause de son départ : par le passé et ce jour-là : « de le quitter + m’en aller encore ». « Ôtez cela, c’est un homme incomparable » : le valet termine sur un éloge. Cette confidence est fondée sur la vérité (car Dorante aime réellement Araminte) mais fausse car stratégique, faite pour manipuler Araminte. A partir de ce moment, Dubois a créé une connivence avec le lecteur/spectateur : ce dernier a compris qu’il sert Dorante en prétendant le critiquer.

Araminte : didascalie « un peu boudant » montre qu’elle est déçue de devoir chasser Dorante = jeu de théâtre : le discours est en décalage avec le corps ; le non-verbal la trahit. « quelque objet qui n’en vaut pas la peine » : cette phrase, qui semble inspirée par la jalousie, montre sa curiosité : elle veut savoir de qui il s’agit. + « car les hommes ont des fantaisies » : ces deux remarques sont comiques pour le lecteur qui sait déjà qu’il s’agit d’elle.

Dubois : « vous m’excuserez » : futur à valeur d’ordre ici. « rien à dire » : il fait traîner sa révélation, créant l’attente. « Malepeste ! sa folie est de bon goût » : il accole un mot du registre familier avec une fin de phrase précieuse = jeux de registres de langue.

Araminte : « n’importe, je veux le congédier » : laisse entendre que le sort en est jeté. Mais elle se contredit immédiatement en posant la question à Dubois « est-ce que tu la connais cette personne ? ». Elle veut savoir, la curiosité l’emporte, ce qui montre que le stratagème de Dubois a fonctionné : il connaît parfaitement le cœur des Hommes.

Dubois : « J’ai l’honneur de la voir tous les jours ; c’est vous, madame ». C’est une confidence élégante. Il ne lui révèle pas immédiatement de nom, marque une pause (il y a un point virgule), puis utilise le présent avec c’ = présentatif. Dubois s’est amusé à utiliser le mensonge pour faire éclater une vérité que ces personnages (Dorante et Araminte), de niveaux de richesse trop différents, ne seraient pas autorisés à s’avouer (pression sociale).

Araminte : « Moi dis-tu ? ». La réplique, très brève marque à la fois l’étonnement et un possible contentement.

 

Conclusion : 

Marivaux utilise Dubois pour servir les intérêts de Dorante en mettant au point un stratagème : il semble d'abord le trahir avant de le décrire élogieusement. Sa description, toute en antiphrases, vise à la fois à manipuler Araminte et à faire rire le spectateur. Le dramaturge joue autant avec la langue qu'avec la double énonciation du théâtre. En ce sens, cette comédie se rapproche du Barbier de Séville de Beaumarchais, où l'ingénieux valet Figaro aide son maître le comte Almaviva à épouser l'inaccessible Rosine dont il est épris.

 

 

 

 

×